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Nouveaux manuels pour un nouveau collège

jeudi 2 juin 2016, par oleg

Dès leur publication, les nouveaux manuels scolaires accompagnant la réforme du collège ont suscité l’indignation. Parents d’élèves, enseignants, journalistes et intellectuels en ont souligné l’indigence autant que l’incongruité. Mais dans ce tonnerre de critiques, peu ont pris la peine de se pencher sur ces usuels afin de voir quelle conception de l’enseignement ils dégageaient. Ces nouveaux manuels, après tout, traduisent-ils bien la réforme du collège ? Pour quelles raisons nous paraissent-ils si pauvres ? Quel idéal et quelle fonction assignent-ils à notre école ?

Faire plutôt que savoir

Première remarque qu’il convient de faire, les ouvrages tant décriés sont de qualité en cela qu’ils appliquent les principes de la réforme du collège. Cette dernière en effet entend déployer pour le socle commun cinq grands axes. Parmi ceux-ci, on demande aux enseignants de transmettre « des langages pour penser et communiquer », « des méthodes et outils pour apprendre », le but étant de contribuer à « la formation de la personne et du citoyen ». La récurrence d’une finalité concrète, l’abondance des formes infinitives signalent la recherche d’une efficience. Mettant fin à l’idée d’une culture considérée comme patrimoine ouvert, disponible et gratuit, les nouvelles directives font de la connaissance une encyclopédie véhiculaire qui se veut immédiate et utile. Le corps social s’empare d’un savoir qu’il enjoint à l’efficacité. En ce renversement, le collège devient un lieu où le faire l’emporte sur le connaître, où l’élève est plus artisan qu’apprenant et le professeur technicien plutôt que savant.

Une socialisation du fait culturel

Par cette instrumentalisation, l’institution scolaire s’approprie le fait culturel auquel il confère une dimension sociale. En témoigne un manuel de lettres, intitulé Lire aux éclats, destiné aux élèves de 5ème, 4ème et 3ème. En celui-ci se trouve une séquence consacrée aux Fourberies de Scapin de Molière, qui porte l’intitulé qui suit : « Avec autrui : familles, amis, réseaux ». Corroborant cette socialisation du fait culturel, l’usuel présente des extraits de l’œuvre qu’il fait précéder des titres suivants : « Un fils rebelle », « méthode pour affronter un père », « le fils craint toujours le père ». Eloquentes en leur formulation, ces entrées orientent la farce moliéresque vers des problématiques familiales et générationnelles. Ce qui était jeu, rire et saillies devient, par l’entremise du manuel, gravité psychologique, tension relationnelle. Conséquence de cette dramatisation, les concepteurs de l’usuel proposent de clore l’étude de l’œuvre par une séance de travaux pratiques. S’achevant sur la réalisation d’une « affiche », la lecture de la pièce demande aux élèves de concevoir une image qui permettrait de « dénoncer l’exclusion », et de « donner des conseils pour lutter contre l’exclusion ». En quelques pages alors, le lecteur est passé d’une comédie raillant les relations maîtres valets à un projet publicitaire visant à lutter contre les stéréotypes. Par cette induction forcée, c’est la cité contemporaine qui s’immisce dans le champ littéraire. Le livre découvert devient prétexte à l’action citoyenne. L’enseignement de la culture débouche sur la mise en acte d’un bréviaire civique.

« Sur l’écho de mon enfance, j’écris ton nom » (Paul Eluard, « Liberté »)
Ce qui frappe alors en ce détournement est la double violence commise par l’institution scolaire. Tout d’abord, un Ministère s’arroge le droit de s’emparer d’un héritage pour imposer ses vues et objectifs du moment. En témoigne le manuel étudié qui, suivant les objectifs de la réforme, prétend enseigner la littérature dans le but de « dénoncer les travers de la cité » afin de mieux « agir dans la cité ». Par le fait de ce prisme, le monde des adultes inflige à l’esprit d’enfance un filtre, une barrière qui empêchent le libre accès aux textes. Dès lors, la lecture de ces manuels étonne par la somme des injonctions proférées. Lors de la séance de fabrication de l’affiche les mots d’ordre abondent : « préparez votre équipe », « formez votre groupe », « réunissez votre matériel », « prenez des notes ». Impératifs sommaires, ces consignes illustrent une pédagogie du coup de semonce qui s’oppose à l’objectif d’autonomie que préconisent les textes officiels. Hantés par l’implication du temps présent, les exercices proposés ne tolèrent aucun écart, n’admettent nulle rêverie. Devenu simple exécutant, l’élève entre dans un cadre protocolaire dont il est l’agent surveillé. L’école se fait antichambre de la cité idéale, laboratoire du citoyen fonctionnel.

Qu’est-ce qu’un manuel ?
Fondamentalement, le scandale de ces ouvrages pose la question de la finalité des apprentissages comme celle de la fonction du collège. Etymologiquement, le terme de « manuel » vient d’un mot latin qui désigne un livre portatif. Là est la finalité de toute culture, qui est acquisition d’un savoir personnel qu’on emporte avec soi. Là est le but de l’école qui consiste à donner à chacun des connaissances qui permettent l’édification d’un jugement. Or ce n’est pas en imposant des inquiétudes et des remèdes hâtifs que l’on éduquera à l’indépendance des esprits. Car qui sait, après tout, de quoi demain sera fait ? N’est-elle pas vaine cette instruction qui demeure en prise constante avec l’aléatoire présent ? La culture, si elle est large, indéterminée et riche est le meilleur viatique pour l’avenir de nos enfants. La liberté n’est pas slogan que l’on décrète, mais chemin que l’on emprunte. C’est en entrant dans la démarche opiniâtre et volontaire de l’apprentissage que l’écolier fait son initiation à la vie. Face au livre, l’enfant vit une aventure de l’esprit qui lui fait éprouver des choix, des risques et des joies. Fictionnelle, cette initiation est sociale par elle-même, en ce que le savoir lie l’apprenant à ses contemporains comme à ses prédécesseurs. Comprendre est un acte qui distingue, associe et unit. Plutôt que d’édifier à toute force un apprenti citoyen, les manuels scolaires feraient mieux de songer à former des lecteurs. Que l’on commence par connaître, on n’en jugera que mieux après.

« Il serait puéril », disait Jaurès « d’essayer d’inculquer, aux esprits, selon l’ombre fuyante des événements ou les vicissitudes d’un gouvernement d’un jour, telle ou telle formule passagère. » Par son utopique projet, le Ministère de l’Education nationale se comporte en enfant. Il faut avoir été dans ces classes où l’on a imposé des minutes de silence et des journées citoyennes : déplacées, ces tentatives n’engendrent que surprise, mépris et transgression. A l’école, on n’aime pas les prédicateurs car on attend du maître qu’il soit savant. Et le jeu déplaît en cours car l’enfant s’y entend très bien tout seul. Les événements passent, la culture demeure. Privés du regard de cette dernière, l’Histoire s’impose sans vérité et paraît vouée à sa triste réitération. Le collège que nous préparent ces affligeants manuels est un lieu dénué de sens, promis à l’ennui, à la désertion et au délit : ce n’est pas avec des ciseaux et de la colle que l’on fait un citoyen. Notre monde n’a nul besoin de techniciens, il n’en est que trop envahi. Et la société que nous annoncent cette réforme et ces manuels, où s’atrophient savoirs et exigences, semble bien devoir n’être qu’une République de cancres.

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