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Terreur à l’école

lundi 12 septembre 2016, par oleg

« Le courage croît en osant, et la peur en hésitant ».
Proverbe latin

Le 30 novembre 2015, un numéro de Dar Al-Islam, revue de l’État islamique, s’en prenait aux enseignants de France. S’honorant des attentats du 13 novembre, les rédacteurs du journal déclaraient que « les fonctionnaires de l’éducation nationale qui enseignent la laïcité sont en guerre ouverte contre la famille musulmane ». Plus loin, ils ajoutaient qu’il était nécessaire « de combattre et de tuer, de toutes les manières légiférées, ces ennemis d’Allah ». Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le corps des professeurs était désigné en tant que cible. Dix mois ont passé depuis la profération de cette menace. Comment le Ministère de l’Éducation nationale a-t-il réagi ? Quel dispositif entend-il mettre en place ? L’État est-il en mesure de défendre son école ?

Déni, esquive et tétanie
Curieusement, Madame Najat-Vallaud Belkacem n’a pas tout de suite donné la réplique. Il a fallu attendre le premier août 2016 pour qu’elle déclare à Paris-Normandie : « Nous n’avons pas attendu les attentats pour agir : réarmer l’école c’est y mettre des professeurs et des professeurs formés ». A bien entendre la Ministre, la stratégie mise en œuvre consiste à multiplier les cibles plutôt qu’à les protéger. Et, les exposant, à continuer de les « former ». Mais à quoi au juste ? Les enseignants ont-ils reçu des consignes spécifiques ? Leur a-t-on prodigué des informations sur les premiers secours ? Ont-ils été préparés à se défendre ? Hélas, toute l’année scolaire passée fut employée à envoyer, par contingents entiers, des professeurs à entendre des recommandations au sujet de la réforme du collège. De toute évidence, le corps enseignant n’est pas préparé à réagir en cas de menace. Cause de cette défaillance, le Ministère de l’Éducation nationale est désarmé face à l’ampleur du phénomène. A n’en pas douter, nous avons affaire à une institution terrorisée, incapable de venir en aide aux fonctionnaires qu’elle emploie.

Inflation sécuritaire
A son habitude, la rue de Grenelle masque son incompétence par une surenchère de mesures, mal coordonnées, pas toujours applicables, mais fièrement claironnées. Ici, on parle de « contrôle visuel des sacs ». Là, on promet un « exercice alerte SMS déclenché le jour de la rentrée ». Ailleurs, on évoque des « cellules académiques de gestion de crise ». Plus loin, on s’en remet à « l’apprentissage des gestes qui sauvent ». Juxtaposition de gadgets disparates, ces artifices plongent l’école dans une surenchère défensive où la stratégie mise en œuvre est celle de l’assiégé barricadé. L’enceinte scolaire se dote d’une ligne Maginot qui se veut protectrice, sans être pour autant fiable. Dans cette posture de reculade et de parade, l’école se fait village gaulois attendant sa potion. Redoutant l’assaut, on s’immobilise, on s’abrite et l’on tremble.

Qu’avons-nous à défendre ?
Ce qui frappe en cet attentisme est l’incapacité de l’institution à définir les principes pour lesquels elle serait prête à se battre. Une simple visite effectuée sur le site de l’Éducation nationale le démontre : la rue de Grenelle en est restée à la question des moyens, là où il importe de se poser celle des fins. Un onglet présente « E-parents », « appli » qui « apporte des informations et des réponses de manière concrète, au plus près du quotidien des enfants ». Un autre s’honore d’avoir su mettre en œuvre, l’année passée, des « activités périscolaires de qualité » permettant, comme il se doit, de « réduire les inégalités sociales ». Un dernier message fait la promotion de « Respect Zone », « label positif » qui se veut association luttant contre la « cyberviolence ». Utilitaire et périphérique, la somme de ces artefacts montre à quelle fragilité nous sommes désormais rendus. Notre éducation à la défense est incapable de dire ce qu’elle entend défendre. Des remparts sont érigés mais la forteresse, déjà désertée, est en état d’évacuation imminente. Confinés en un terrier, les enseignants, bataillon sans âme ni drapeau, sont censés protéger des élèves que l’on offre en un sacrifice dénué de la moindre espérance. L’école est citadelle où la lâcheté intellectuelle, pire de tous les ennemis, a désormais pris place.

Ideas do matter
Les idées comptent. Une guerre ne mérite d’être menée que pour un idéal qui la dépasse. Or le bilan du Ministère Vallaud-Belkacem se traduit par l’indifférence voire le mépris porté aux réalités de l’esprit. Quand des académiciens, des journalistes et des écrivains s’indignent d’une réforme du collège qui se traduit par une atrophie des apprentissages, ceux-ci sont taxés, par la locataire de la rue de Grenelle, de « pseudo-intellectuels ». Lorsqu’on interroge cette dernière sur la faible rémunération des enseignants, elle dit à leur endroit qu’ "enfin, ces gens, ce n’est pas l’argent qui les attire, sinon ils ne seraient pas enseignants." Et, quand une question est posée à l’Assemblée nationale sur l’enseignement du latin, Madame Vallaud-Belkacem se lime ostensiblement les ongles, transformant l’hémicycle en salon de manucure. « C’est dans le vide de la pensée », a pu dire Hannah Arendt, « que naît le Mal ». Il y a la terreur des armes mais il y a aussi celle, plus accablante, de l’ignorance satisfaite. La Ministre de l’Éducation nationale, qui n’a cessé de dévaluer la chose scolaire, a beau jeu de vouloir sécuriser l’école : l’enceinte qu’elle entend protéger est un lieu vide.

A quoi bon combattre si l’on est incapable de dire pour quoi ? Dans cette carence des fondements, l’école, authentique miroir de notre temps, révèle l’inanité des armes que nous entendons saisir. L’identification victimaire tout comme les recommandations lénifiantes portant sur le vivre ensemble sont de piètres remèdes au fanatisme sectaire. Pour prévenir une jeunesse des séductions de l’idéologie, rien ne vaut la connaissance de ce que nous sommes, préservation de ce que nous voulons demeurer et espérance de ce que nous souhaitons devenir. Encore faut-il pour cela consentir à travailler dans les murs de nos classe. Les minutes de silence et les brevets de secourisme ne pourront rien contre la furie qui nous menace. Une jeunesse instruite, fervente, et fière de ses aînés, constitue la plus sûre des citadelles. Si la terreur s’invite à l ’école, c’est à cette dernière d’enseigner aux enfants les raisons qui fondent l’ensemble de nos convictions. Le savoir et l’étude sont les premiers boucliers qu’il nous faut opposer aux mirages de la brutalité. Encriers contre canons.

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