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"ABCD de l’égalité" : Vincent Peillon responsable d’une instrumentalisation idéologique de l’École

vendredi 21 mars 2014, par oleg

Telle est en tous cas l’implacable analyse d’Eric Deschavanne, professeur de philosophie, dont nous publions ci-après pour partie l’excellent article. On trouvera l’intégralité de ce dernier en cliquant sur le lien qui suit :
http://www.atlantico.fr/decryptage/abcd-egalite-pouquoi-veritable-faute-vincent-peillon-est-pas-celle-que-on-croit-eric-deschavanne-976373.html

Les « ABCD de l’égalité se fondent sur un discours féministe qui possède tous les traits caractéristiques de l’idéologie

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les aspects les plus caractéristiques et les plus caricaturaux de l’idéologie sont présents dans ces textes officiels qui préparent, présentent et justifient le dispositif des « ABCD de l’égalité ». Au premier chef, bien entendu, on trouve la prétention à la scientificité : les études sur le genre sont présentés comme des « savoirs scientifiques » par le texte de la convention interministérielle – chacun étant donc invité à se soumettre à l’autorité de la Science. On ne saurait pourtant cacher bien longtemps que les études de genre ont été conçues par et pour le féminisme. Or, on ne peut en toute rigueur parler de science lorsque la pensée normative se mêle à la description du réel. Comment, en outre, pourrait-on faire « scientifiquement » la juste part de l’inné, de l’acquis et de la liberté dans la production des différences qui distinguent les manières de vivre et de penser des hommes et des femmes ? Les études sur le genre ne sont ni plus ni moins (et même plutôt moins) scientifiques que le marxisme ou la science économique libérale. Lorsqu’on aborde le domaine de la condition humaine, le pluralisme interprétatif est de rigueur : présenter comme « scientifique » la vision de l’homme et de la société à laquelle on adhère est un des signes les plus sûrs auxquels se reconnaît la prétention hégémonique d’une idéologie.

L’idéologie, qui parle au nom du Vrai et du Bien, distingue une avant-garde éclairée et révolutionnaire. Sa puissance de séduction réside dans la promesse faite aux adhérents de disposer d’une position de surplomb intellectuel permettant de regarder de haut le reste de l’humanité. Une telle promesse est toujours payante, même en démocratie, car il ne manque jamais d’imbéciles pour se croire plus intelligents que les autres. Le féminisme gouvernemental repose sur une idée simple : « Préjugés et stéréotypes sexistes, ancrés dans l’inconscient collectif, sont la source directe de discriminations et, à ce titre, doivent être combattus dès le plus jeune âge ».

L’épistémologie de Karl Popper l’a montré, l’immunisation contre le réel est un trait qui distingue la pseudo-science de la science. Tandis que la seconde soumet au réel des hypothèses qui peuvent être invalidées par l’expérience, l’idéologie a réponse à tout, trouvant toujours le moyen d’interpréter les faits qui viennent la contredire sans jamais se remettre en cause. Les garçons sont massivement présents dans certaines filières d’excellence ? C’est qu’ils bénéficient des stéréotypes hérités de la longue histoire de la domination masculine. Ils forment l’essentiel des effectifs des élèves décrocheurs ou en échec scolaire ? C’est qu’ils sont victimes de ces mêmes stéréotypes. Bon sang mais c’est bien sûr ! Comment ne pas adhérer à une source d’explications aussi lumineuse ?!

L’idéologie se reconnaît également à la démesure de ses ambitions. Nos ministres souhaitent que l’École « participe à modifier la division sexuée des rôles dans la société ». L’École, en un sens exerce et continuera à exercer ce rôle en permettant aux filles de de réaliser leurs ambitions en réussissant leurs études. L’éducation des filles a de fait constitué le principal facteur de l’émancipation des femmes au cours du dernier demi-siècle. Mais le projet actuel, on l’a vu, est de nature différente : il demande à l’École de déprogrammer-reprogrammer la manière d’être et de penser des enfants en s’attaquant aux stéréotypes et préjugés ancrés dans l’inconscient collectif (et identifiés comme tels par l’avant-garde éclairée). L’ambition, lit-on sur le site du ministère de l’Éducation nationale, est d’intervenir dès l’école primaire, « en agissant sur les représentations des élèves et les pratiques des acteurs de l’éducation. » La transformation des mœurs ne se conçoit plus comme l’effet secondaire de la réalisation des objectifs consensuels de l’École (l’acquisition des savoirs et des compétences, l’égalité des chances). Il s’agit désormais de se donner les moyens, par la psychanalyse des professeurs et la rééducation des enfants, de façonner directement les manières de vivre et de penser. Dans sa célèbre Lettre aux instituteurs, à propos de l’éducation morale, Jules Ferry recommandait aux maîtres de ne toucher qu’avec le plus grand scrupule « à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience de l’enfant ». Vincent Peillon, quant à lui, leur demande d’empiéter sauvagement sur son inconscient.

Un tel projet pourrait paraître totalitaire s’il n’était complètement dérisoire. Imaginer qu’il puisse y avoir un lien quelconque entre le fait de demander à un élève si les chevaliers peuvent avoir peur du noir, d’une part et, d’autre part, les choix de carrière que celui-ci effectuera en parvenant à l’orée de l’âge adulte relève de la pensée magique. D’une manière générale, l’idée que l’on puisse changer les mœurs par décret, en contrariant l’influence de la famille et de la société, est illusoire. Même les pouvoirs totalitaires n’y sont pas parvenus. Les pays communistes d’Europe de l’Est furent ainsi le meilleur conservatoire des religions ; l’Église catholique se porte mieux en Pologne que dans n’importe quel pays d’Europe de l’Ouest ! Les quelques heures de « rééducation » par la déconstruction des stéréotypes genrés seront donc en elles-mêmes sans danger pour les enfants. Les conséquences malheureuses de l’opération, encore une fois, tiennent à la politisation de l’École, laquelle résulte de son instrumentalisation idéologique et conduit à une perte de crédibilité aux yeux de nombreux parents.

On peut et on doit par conséquent reprocher au ministre de n’avoir pas su sanctuariser l’École en la préservant des conflits idéologiques qui traversent la société. Les rumeurs dont l’École est victime témoignent de l’hystérisation du débat et de la perte de tout bon sens. Que dire cependant des propos tenus par le ministre ? On ne s’étonne plus de rien, mais il a tout de même osé affirmer que les professeurs ne notaient pas les garçons et les filles de la même façon : une telle accusation de sexisme, objectivement diffamatoire, aurait dû susciter une levée de boucliers si les esprits n’étaient pas embrumés par la mode idéologique du moment. On dira peut-être que le ministre accorde aux professeurs des circonstances atténuantes puisqu’il les considère victimes de leur inconscient, et donc en un sens irresponsables. Potentiellement, toutefois, et en bonne logique, tout professeur qui voudrait se soustraire aux séances d’auto-psychanalyse collective devrait être soupçonné de vouloir persévérer dans ses pratiques de discrimination sexiste. Les propos de Vincent Peillon paraissent ainsi dictés non par les exigences de sa fonction mais par sa vocation de petit commissaire politique du féminisme radical. Lui qui se rêvait en ministre de la refondation de l’École restera peut-être dans les livres d’histoire comme celui qui, par esprit partisan, voulut instaurer un ministère de la Rééducation nationale.

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