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ABCD DE L’EGALITE : FAITS ET ANALYSE

jeudi 15 mai 2014, par oleg

L’article qui suit est en fait la somme de plusieurs, déjà publiés ici. Il résume la position de notre association sur l’ABCD de l’Egalité.

L’ABCD de l’Égalité a suscité bien des commentaires. Programme ou simple proposition, expérimentation ou tentative d’inculcation, le projet s’appuie sur des statuts et des objectifs indécis qui génèrent la polémique. Les quelques lignes qui suivent ont pour mission de clarifier les choses, en s’appuyant sur l’observation des faits confrontés à la mission que notre République assigne à l’école.

Un projet partial en ses présupposés
Première remarque, l’ABCD de l’égalité est une entreprise qui repose sur une conception restrictive de l’égalité des sexes. On pourra s’étonner, à la simple consultation du site internet qui lui est consacré, de n’y voir que des femmes. Celles-ci, pédagogues ou enseignantes, sont représentantes d’un féminisme unique, qui est le féminisme de genre. Ainsi, Claire Pontais, professeur agrégée d’EPS, est responsable d’une séquence intitulée « Danser : le Petit Chaperon rouge », qui a été recommandée par l’ A. R. G. E. F. (Association de Recherche sur le Genre en Éducation et Formation). [1] De même, Geneviève Guilpain, professeur de philosophie qui explique dans une vidéo du site comment « former les enseignants à combattre les stéréotypes », se félicite, dans une interview donnée à l’association « Adéquations », d’ « aborder la question de genre dans la langue » et de poser à ses élèves la question qui suit : « Comment une langue genrée modèle-t-elle notre vision de la réalité ? » [2] Enfin, Véronique Rouyer, interrogée par les promoteurs de l’ABCD au sujet de la « Construction de l’identité sexuée de l’enfant », a pu être auteur d’un ouvrage collectif intitulé Genre et socialisation de l’Enfance à l’âge adulte. Sans qu’il soit ici question de discuter de la pertinence de ces travaux, soulignons-en seulement la convergence idéologique : fondé sur une exclusivité des positionnements, l’ABCD de l’égalité, qui laissait espérer la possibilité d’une ouverture, laisse place à la réalité d’une fermeture. L’égalité promise en ce projet ouvre ses portes à un abécédaire de la partialité.

Une entreprise illégitime en ses objectifs
Deuxième point, le programme, qui se donne pour ambition de changer les mentalités, déroge à la vocation de l’institution scolaire. Ainsi, la séquence « Danser : le Petit Chaperon rouge », proposée en cours d’Éducation Physique et Sportive, entend « lutter contre les stéréotypes et les modes culturels dominants. » [3] Or Jules Ferry, père fondateur de notre école, entendait justement délimiter l’action des maîtres en écrivant aux instituteurs ce qui suit : « le législateur a eu pour premier objet [...] d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves [et] de distinguer [...] deux domaines trop longtemps confondus, [...] celui des croyances [et] celui des connaissances ».[4] Médiateur de savoirs et non porte-parole d’une conviction, le hussard noir n’a pas à forger les consciences, mais se doit de nourrir les esprits. Une institution qui se donnerait pour mission de modifier les opinions ne respecterait pas le vœu de séparation des instances, qui présida naguère à la création de l’école. Faudra-t-il s’étonner alors si cet égalitarisme de genre, ayant trouvé droit de cité, ouvre la porte à d’autres courants de pensée, fort différents peut-être, mais réclamant le même privilège ?

Le recours à une pédagogie du genre
En outre, si les différentes révisions opérées sur le site de l’ABCD de l’égalité ont fait disparaître toute mention de genre, on remarquera que ce dernier, absent comme fondement théorique, demeure comme pratique éducative. Prenons la séquence consacrée au Petit Chaperon rouge. Adressée à des enfants du Primaire, celle-ci suggère des séances de mime avec « mixité pour les deux rôles » : les petites filles n’ont qu’à jouer le Loup, les garçons feront le Chaperon rouge. Mieux encore, assure l’enseignante qui conçut l’exercice, on peut « opter pour des duos Loup-Chaperon non systématiquement mixtes »[5], par lesquels deux filles ou deux garçons joueront, tour à tour, les deux rôles. Le récit de Perrault, écrit dans le but d’avertir les jeunes filles du danger que représentent les séducteurs, devient expérimentation du changement des identités, théâtre d’un bouleversement des repères. Conte d’avertissement changé en scène de travestissement, cet outil de l’ABCD de l’égalité est vecteur d’une transgression des codes. L’objectif de l’équité, masqué par l’alibi de la déconstruction des stéréotypes, est prétexte à des mises en scène où il s’agit, comme certains le veulent ailleurs, de défaire le genre. Désolidarisé de sa base théorique, le gender est donc bien à l’œuvre dans l’ABCD, sous forme de recours pédagogique. Évacué comme sémantique, il persiste comme biais didactique. Est-il besoin alors de rappeler que la loi de refondation pour l’école, votée en juin 2013, excluait pourtant toute éducation à l’égalité de genre ? [6]

Un programme illégal en sa mise en œuvre
Plus grave peut-être, le projet bouleverse les protocoles qui sont d’usage dans la mise en place des programmes. En effet, la récente « Charte relative à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi des programmes »[7], définit des codes réglementaires que l’ABCD de l’égalité bafoue. Premièrement, le texte stipule que les programmes d’enseignement produisent une "norme nationale qui est à ce titre la référence centrale de l’éducation et la garantie d’une ambition et d’une culture communes". Or, la promotion de l’indifférenciation des sexes qui est au cœur de l’ABCD relève d’un parti pris dont on peut légitimement se demander s’il fait bien œuvre de culture commune. Deuxièmement, la charte préconise, pour l’application de tout programme, "un principe de transparence et d’accessibilité" qui s’énonce comme suit : "les citoyens, à commencer par les parents et tous les acteurs de l’éducation, doivent avoir accès aux programmes d’enseignement, connaître leurs modes d’élaboration, pouvoir s’exprimer dans les débats qui précèdent les grands choix et être informés des évaluations des programmes réalisées a posteriori." Solennelle autant que ferme, l’exigence ici prononcée ne peut que déclencher une série d’interrogations. Comment cette charte tolère-t-elle que des Académies pilotes refusent de délivrer, aux parents qui le demandent, le nom des écoles où se trouve expérimenté l’ABCD ? Comment se peut-il que, si le dispositif expérimental de l’ ABCD de l’égalité a formé inspecteurs et inspectrices de l’Éducation nationale, conseillers et conseillères pédagogiques de circonscription pour qu’ils deviennent à leur tour formateurs, il soit impossible de savoir qui a dispensé auprès de ces derniers la dite formation ? Sait-on enfin que, d’avril à juin 2014, est prévue une évaluation du dispositif en vue de sa généralisation, sans que l’on soit en mesure de connaître les modalités de cette dernière ? L’opacité est totale et les contenus proposés demeurent inconnus. Ne souscrivant pas à son devoir d’information auprès du grand public [8], l’institution scolaire se place en situation d’iniquité. L’égalité promise par cet ABCD ne semble alors s’instituer qu’au bénéfice de l’illégalité.

Une utopie éducative
Il est une chose enfin, sur laquelle nous aimerions conclure, à l’appui de l’expérience : l’ABCD de l’égalité, qui entend changer les consciences, est une chimère qui semble vouée à l’échec. Pour avoir participé à bien des projets de ce type, pour être entrés dans bien des expériences similaires, nous sommes en mesure d’affirmer qu’à l’école la vertu ne s’enseigne pas par des leçons, mais se montre par l’exemple. Quelque chose au contraire nous dit que, à vouloir empêcher la construction des identités par le discours, il est à parier que celle-ci ne s’établisse par des moyens détournés, qui seront autrement plus violents. Le petit garçon, qui se verra bousculé en son identité, ne sera-t-il pas tenté, quand l’adulte aura le dos tourné, de faire preuve comme il l’entend de sa virilité naissante ? La petite fille, dont on suspectera la féminité, n’éprouvera-t-elle pas le désir de se réfugier vers des stéréotypes caricaturaux et aliénants ? Vouloir éradiquer les repères qui construisent les personnes, c’est aussi prendre le risque de laisser à chacun d’imposer les siens par le fait de l’arbitraire. Égalitaire en sa visée, cet abécédaire inédit risque de susciter, dans les cours de nos écoles, bien des vocations de despotes. Ainsi, une égalité des sexes qui souhaiterait passer outre les archétypes aurait pour corollaire le retour d’un sexisme arrogant, endigué par nulle culture. « Le courage », écrivait Jaurès, « c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. » Privilégiant l’un, sans tenir compte de l’autre, les promoteurs de l’ABCD de l’égalité risquent de faire naître, au sein même de notre école, de grandes déceptions, probable prélude à d’imprévisibles colères.

Aussi est-il temps que nous opposions à cette rêverie des Ministères un véritable projet éducatif. Parents et enseignants doivent se retrouver autour de la personne de l’enfant pour dessiner ensemble les contours d’une charte des complémentarités. Revenant au rôles qu’il incombe à chacun de tenir, celle-ci pourrait se donner pour mission de définir l’opportunité autant que les modalités d’un accompagnement à la vie affective. En attendant ce jour, nous aimerions que l’école se recentre sur l’unique égalité qu’elle puisse promettre aux élèves, qui est celle de l’équité de chacun face aux savoirs transmis.

Notes et références

[1] http://argef.hypotheses.org/124
[2] http://www.adequations.org/spip.php?article1428
[3] http://www.cndp.fr/ABCD-de-l-egalite/outils-pedagogiques.html
[4]http://www.google.fr/urlsa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CC8QFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww2.cndp.fr%2Flaicite%2Fpdf
[5] http://www.cndp.fr/ABCD-de-l-egalite/outils-pedagogiques.html
[6] En juin 2013, lors du vote de la loi de refondation pour l’école, fut rejeté l’amendement Sommaruga, qui préconisait une « éducation à l’égalité de genre ».
[7] http://www.education.gouv.fr/cid78644/la-charte-des-programmes-adoptee-par-le-conseil-superieur-des-programmes.html
[8] Ce devoir est défini comme suit par la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 à l’article 27 : « Les fonctionnaires ont le devoir de satisfaire aux demandes d’information du public dans le respect des règles mentionnées à l’article 26 loi du 13/07/83. »

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