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Projet d’Enseignement moral et civique : une République au rabais dans les classes de nos écoles ?

mercredi 21 janvier 2015, par oleg

Le Ministère de l’Éducation nationale a fait savoir qu’il souhaitait recueillir l’opinion de ses personnels quant aux projets d’Enseignement moral et civique conçus par le conseil supérieur des programmes. Dans le détail, cette consultation s’appuie sur deux textes : un Projet d’Enseignement moral et civique [1], daté de juillet 2014, qui donne les orientations générales et des recommandations concernant les cycles 2, 3 et 4 de l’enseignement, un Projet d’Enseignement moral et civique consacré aux classes préparant aux Certificats d’aptitude professionnel, Baccalauréats professionnel, technologique et général et qui est daté de décembre 2014.[2] Nous conformant aux vœux du Ministère, nous produisons ici une série d’observations destinées à exprimer notre perception.

Une démarche sérieuse et ajustée
La lecture des deux documents proposés l’atteste, ce projet d’enseignement moral et civique fait preuve d’un véritable sérieux qui montre l’importance que le Ministère accorde à la démarche entreprise. L’ambition est fondée, le vocabulaire précis et l’ensemble relève d’une cohérence qui ménage la progression des âges tout en s’harmonisant avec l’ensemble des matières enseignées. Ces textes peuvent donc servir de support à une véritable discussion.

La pratique de l’illusion consultative
Le problème est que, dans le cadre du débat instauré, la marge laissée au dialogue demeure mince. Lancée au début de l’année 2015, la consultation s’achèvera le 23 janvier de cette même année. Peut-on raisonnablement penser qu’une réflexion de fond peut se mener dans un délai si bref ? Autre restriction, le Ministère, en un souci que l’on aimerait croire pédagogique, propose, pour recueillir les avis de chacun, une « trame de questions ».[3] Mais celle-ci, fermée et purement technique, ne laisse à aucun moment le fonctionnaire s’exprimer sur la légitimité de l’ambition proposée. Ici, on demande si « les compétences attendues en fin de cycle sont suffisamment explicites pour être mises en œuvre. » Là, on voudrait savoir si « le projet de programme laisse aux équipes pédagogiques et éducatives des espaces d’initiative et de responsabilité pour la mise en œuvre du programme ». Induites et restreintes, ces suggestions sont la demande à peine voilée d’un assentiment, l’autorisation tout juste accordée de pouvoir solliciter quelques précisions.

Instruction ou éducation ?
Or les textes soumis à notre étude ne manquent pas d’équivoques en leurs fondements mêmes. Ainsi, le Projet d’Enseignement moral et civique, dans ses « principes généraux », affirme que, si l’ « l’éducation morale n’est pas du seul fait ni de la seule responsabilité de l’école » mais « commence dans la famille », « l’enseignement moral et civique se fait quant à lui dans le cadre laïque qui est celui de la République ». Étonnante, la superposition de ces affirmations laisse naître bien des questions : peut-on savoir, en cette subtile distinction, à quel moment s’arrête l’ « éducation morale » et quand commence « l’enseignement moral et civique » ? Est-on bien sûr que le civisme ne s’apprend pas aussi en famille ? Est-on certain que des objectifs tels que « la confiance en soi », « l’empathie », la « sensibilité », qui président à l’ « architecture » organique du projet présenté, aient leur place dans le cadre public d’une école ? Que penser enfin d’une institution qui entend entrer à ce point dans l’intimité de jeunes individus ? Est-ce bien dans ce but que des familles confient leurs enfants à l’école ?

Quand les compétences prennent le pas sur la connaissance
Autre point de litige, on est frappé, à la lecture des deux opuscules, par l’énumération assourdissante des compétences attendues : dès le Cycle 2, il faut, pour tout élève, être « capable de prendre soin de soi », « capable d’identifier et de nommer ses émotions », « savoir se mettre à la place des autres », « se sentir membre d’une collectivité ». Purement injonctive et comportementale, cette pédagogie de la compétence impose un savoir faire qui s’établit à la défaveur du savoir lui-même. Nous pensons pour notre part que c’est la connaissance qui permet à l’individu de se percevoir et, par là, de percevoir autrui. La culture, dont on aurait bien tort de priver les enfants, est, bien plus que tous les mots d’ordre, cette médiation qui encourage le commerce avec les autres. Lire, écrire et compter sont des détours qui suscitent le retour de la personne sur elle-même ainsi qu’une ouverture au monde. Avant que d’être bon citoyen, peut-être conviendrait-il d’abord de savoir ce que fut par le passé une cité : faire l’économie de cette évidence serait réduire le projet envisagé à un civisme de l’incantation, qui laisserait les élèves bien démunis face aux tentations hégémoniques qui se pressent désormais aux portes de notre République.

Quelques partis pris identifiables
Conséquence de cette indigence, les programmes proposés se caractérisent par une surenchère de partis pris, la pauvreté des propositions étant compensée par l’inflation des convictions. Ainsi, on pourra remarquer à titre d’exemple que, si la question des religions est abordée en classe de Terminale, elle est d’emblée subordonnée à la « notion de laïcité », dont on se doit de connaître les « significations, dimensions historique politique, philosophique et juridique. » De même, pour les classes préparant au CAP, les notions de « citoyenneté et de nationalité » sont d’abord précédées de l’étude de l’ « idée de citoyenneté européenne ». Enfin, on pourra s’étonner de trouver, pour le Cycle 4, une piste visant à distinguer « l’identité personnelle » de « l’identité légale ». Poursuivant cette voie, le même cycle propose d’explorer, au chapitre de l’ « égalité » et de la « non discrimination », « la dimension biologique de la diversité humaine ». Évident écho de la doctrine du genre, ces suggestions n’ont pas leur place à l’école. Rappelons en effet que la loi de refondation pour l’école excluait, par le fait du rejet de l’amendement Sommaruga, l’éducation à l’égalité de genre. Partial autant que partiel, ce projet d’enseignement moral et civique semble donc satisfaire une exigence de normalisation qui vise à constituer de futurs citoyens dociles, peu critiques et entièrement soumis aux préoccupations partisanes du moment.

La délicate question de l’évaluation
Considérée comme matière à part entière, cette discipline souhaite enfin être, pour les élèves comme pour les enseignants, source d’évaluations. Fort heureusement, la page 17 du premier document affirme que « l’évaluation » des élèves fera, pour cet enseignement, « l’objet d’une proposition ultérieure. » En revanche, une « Préconisation sur la formation des professeurs en enseignement moral et civique » fait état de propositions qui laissent songeur. « La nécessité d’évaluer » la formation reçue par les futurs professeurs en ce domaine suppose, assure le document, un « court entretien » effectué « lors de l’inspection de titularisation » et « portant sur un cas proposé par écrit ». Félicitera-t-on, au cours de cet entretien, l’impétrant en raison de son adhésion aux convictions qui sont à transmettre ? Le blâmera-t-on au contraire s’il ne fait pas preuve, en ce domaine personnel, de zèle autant que de foi ? La République a-t-elle vraiment besoin de hussards qui ne soient que chantres serviles ?

Disons-le net alors et pour conclure, nous ne voyons pas d’un très bon œil ce projet d’enseignement moral et civique. Limité et pauvre, il ne donne, de notre pays comme de son fonctionnement, qu’une idée étroite et fade. Injonctif plutôt qu’explicatif, il risque de nourrir, chez les élèves que ce catéchisme agacera bien vite, un sentiment de défiance voire de mépris. Intrusif et inadapté à la diversité des publics qui constitue l’ensemble de nos classes, il ne manquera pas de susciter la colère des familles qui estimeront que l’école empiète à nouveau sur des domaines privés qui relèvent de l’intime. Plutôt que de s’ingénier à construire des parcours savants qui articulent compétences, connaissances et pratiques, les concepteurs de ce programme auraient mieux fait de s’appuyer sur les principes fondateurs de notre école qui en garantissent la pérennité : souveraineté absolue des parents dans le genre d’éducation qu’ils entendent donner à leurs enfants, neutralité de l’enseignement qui transmet des connaissances et non des convictions, obligation de réserve imposée au fonctionnaire qui n’a pas à user de son rôle pour inculquer des slogans. Simples en même temps que partagés, ces principes, s’ils sont respectés avec cœur et fidélité, constituent sans doute le meilleur enseignement moral et civique que l’on est en mesure d’offrir à nos élèves.

Notes et références

[1] http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCEQFjAA&url=http%3A%2F%2Fcache.media.education.gouv.fr%2Ffile%2FOrganismes%2F32%2F8%2FCSP-Projet_EMC_337328.pdf&ei=A8e-VO-jCM_zarztgYgK&usg=AFQjCNHBIg7ZL5J8_36B_XIsgCtjzwUxKw&bvm=bv.83829542,d.d2s

[2] http://eduscol.education.fr/consultations-2014-2015/events/programmes-denseignement-moral-et-civique/ (le document se trouve au bas de la page d’accueil).

[3] http://eduscol.education.fr/consultations-2014-2015/events/programmes-denseignement-moral-et-civique/ (la trame de questions est à télécharger sur la page d’accueil).

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