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La réforme du collège en son décret : l’arbitraire exécutif érigé en principe éducatif

vendredi 2 octobre 2015, par oleg

Lorsqu’elle est analysée par les spécialistes, la réforme du collège donne lieu à des commentaires avisés sur la refonte des emplois du temps, la disparition des options et la réorganisation des parcours en cycles nouveaux. Pourtant, peu se sont penchés sur les implications juridiques du décret promulgué qui, par son ampleur comme par son contenu, crée dans l’histoire institutionnelle de l’Éducation nationale un véritable précédent. Signe de ce changement, le décret du 19 mai passe, en sa promulgation même, par la réécriture de plusieurs articles du Code de l’Éducation. Quelles implications légales la réforme du collège instaure-t-elle alors ? Quels sont les relations qu’elle implique entre politique éducative et pouvoir exécutif ? A quelle loi l’école se trouve-t-elle désormais soumise ?

Le socle commun, soumis à la décision du Ministère et du Conseil Supérieur des Programmes

Premier point, qui fut permis par la loi Peillon en juillet 2013, l’article L 122-1-1 du Code de l’Éducation stipule que « les éléments » du « socle commun et les modalités de son acquisition sont » désormais « fixés par décret, après avis du Conseil Supérieur des Programmes ». Confirmant ce changement, le décret promulguant la réforme ajoute un nouveau point au Code, l’article D 322-4.1, qui précise que « les enseignements communs, le volume horaire des enseignements communs et complémentaires […] sont fixés par arrêté du ministère de l’éducation ». On le voit ici, le contenu des savoirs transmis à une génération de collégiens, l’organisation du temps scolaire et la répartition des champs disciplinaires peuvent se passer de toute délibération parlementaire. Par simple arrêté, un Ministre, appuyé par un Conseil dont il choisit la majorité des membres, pourra définir l’éducation offerte à toute une nation. En cette rupture, l’école, pour la première fois sans doute dans l’histoire de notre République, se trouve soustraite à la souveraineté populaire : politique éducative et légitimité institutionnelle semblent dès lors deux réalités distinctes.

Une réduction légale des savoirs transmis

Une fois cette assise définie, le législateur peut sans ambages atrophier le contenu même des enseignements offerts. En sa réécriture en effet, le Code limite la formation des collégiens au seul socle commun. Or, en sa version initiale, le texte précisait, à l’article D 332-2, que le collège devait offrir à tous « au moins le socle commun de connaissances et de compétences », ainsi que « d’autres enseignements complétant le socle commun dont la maîtrise est indispensable pour la poursuite des études ». En sa nouvelle mouture, l’article se contente de rendre obligatoire « une formation générale qui […] permet d’acquérir, au meilleur niveau de maîtrise, le socle commun de connaissances ». Tous les compléments du socle commun, tels que les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires et autres temps d’accompagnement personnalisé ne sont plus ici garantis par le fait de la loi. Le Ministre seul, aidé de son Conseil, pourra décider de l’opportunité de ces options et appauvrir à l’envi et en toute légalité la somme des savoirs proposés.

Hypertrophie des pouvoirs de direction
Dernier point enfin, et qui n’est pas des moindres, la réforme du collège, telle qu’elle se décline dans le décret qui la promulgue, a pour vocation d’accroître le pouvoir décisionnaire des instances dirigeantes d’un établissement. Le texte en effet, précise que « l’organisation des enseignements est fixée par le Conseil d’Administration, après avis du conseil pédagogique et conformément au projet d’établissement ». Sans contrôle exercé par le Recteur, ni même par le corps des Inspecteurs, le temps scolaire est laissé à la libre disposition des structures gouvernantes du lieu. Dans l’enseignement privé sous contrat, cette délégation confine à la concentration, puisqu’il est écrit que « l’organisation des enseignements est fixée par le chef d’établissement en concertation avec les professeurs ». Consacrant une forme de suprématie administrative, la réforme du collège signe l’avènement de proviseurs managers qui auront tout pouvoir sur la vie d’un établissement. Autocratique à l ’échelle locale, cette hypertrophie de l’autorité n’est que l’écho d’un symptôme institutionnel où tout, en matière éducative, se décrétera en haut lieu.

Il semble donc paradoxal d’affirmer vouloir, par la réforme du collège, renouveler la République en ses fondements, tout en bousculant ce qui en fait un des principes fondateurs et qui est l’équilibre, pour toute décision prise, des instances décisionnaires. Pourtant, en son article 34, la Constitution de 1958 affirme que c’est « la loi », et non pas seulement l’exécutif, qui « détermine les principes fondamentaux de l’enseignement. » Soumise à l’entière délibération du Prince, la politique éducative mise en œuvre ici signe la fin d’une école s’établissant par contrat. Se dérobant à l’expression de la volonté générale, l’instruction qui s’offre au collège instaure le règne des experts comme elle consacre l’arbitraire d’un Ministère omnipotent.

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