Instituée par décret le 19 mai 2015, la réforme du collège a été complétée par une circulaire publiée le 2 juillet suivant. Consacrée à de simples modalités pratiques, celle-ci ne fut guère commentée. Pourtant, le texte, précis en ses injonctions, dessine d’assez près la carte de ce que pourrait être le collège de demain. Attentive et mise en relation avec d’autres, la lecture de ce document suscite alors une somme de questions. Quelle forme prendra enseignement désormais ? Comment s’organiseront le temps et l’espace des élèves ? Tous les collèges se ressembleront-ils ?
Une fragmentation du territoire et des excellences
S’inscrivant dans le prolongement du décret de la réforme, la circulaire définit des modalités de répartition horaire. Le socle commun, garanti par la réécriture de l’article 332-2 du Code de l’éducation, se trouve enrichi de propositions diverses qui sont les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires, les enseignements de compléments et l’accompagnement personnalisé. Ces propositions, que le même article ne mentionne pas comme obligation, demeurent de simples possibilités, soumises à la dotation horaire de l’établissement. Ainsi, s’il est dit dans la circulaire que « langues et culture de l’Antiquité », « langues et cultures étrangères ou régionales » sont « un enseignement de complément », l’article 7 de l’arrêté accompagnant le décret de la réforme du collège précise que tout « enseignement de complément » est dépendant de la « dotation horaire attribuée à l’établissement ». De même, il est écrit dans la circulaire que « le travail en groupe à effectifs réduits », et « les interventions conjointes de plusieurs enseignants » relèvent d’une « dotation horaire supplémentaire pour l’établissement ». On le voit, la liberté pédagogique dont s’honorent les promoteurs de la réforme n’est garantie par aucun texte législatif. Faveur dispensée par une aléatoire dotation, la diversité promise semble devenir source de disparités. En effet, si le latin devient un « complément » dont l’enseignement est déterminé par le chef d’établissement, ce dernier pourra choisir de ne pas le proposer. A l’inverse, un autre pourra bien, au nom d’une pédagogie opposée, sacrifier le temps des accompagnements personnalisés. Il est alors aisé d’imaginer que cette variabilité accentuera les différences plutôt qu’elle ne les estompera : dans les établissements réputés difficiles, point de langues anciennes, dans les lieux favorisés, le soutien disparaîtra. Conséquence de cette hétérogénéité, le savoir offert à l’enfant sera déterminé par le fait de sa localisation. Justifiée par l’argument du libre choix, la réforme du collège limite l’éventail des proposions et conditionne ce dernier au bon vouloir des directions d’établissement. N’étant plus protégée par un État qui déroge ici à son rôle de régulateur, la liberté invoquée se traduit dans les faits par une réduction des propositions, révélatrice d’une drastique paupérisation.
Disparité des personnes, multiplication des interventions
Localement, ce morcellement pédagogique se traduit par un éclatement du personnel éducatif. Concernant les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires, la circulaire précise que « les professeurs documentalistes ainsi que les conseillers principaux d’éducation » auront « vocation à apporter leur expertise ». De même, pour ce qui est du module intitulé « langues et cultures étrangères régionales », il est dit que des « professeurs non linguistes volontaires », ayant reçu du « recteur » une simple « certification », seront en mesure d’assurer un enseignement en ce domaine. Enfin, le Ministère souhaite que « la mise en œuvre » de ces « parcours » « favorise » « la participation d’autres personnels de l’établissement et les partenariats ». Remplaçant le principe de la qualification enseignante par une polyvalence offerte au tout venant, la réforme du collège dessine les contours d’une pédagogie de la dispersion autorisant à chacun d’être l’enseignant de ce qu’il veut. Adapté aux stricts impératifs de l’instant, le projet promulgué instaure l’ère des savoirs disparates où le simple fait de l’attribution de la fonction en assure la compétence. Est-on bien sûr, en cette dénivellation, que l’élève s’y reconnaisse face à la diversité des personnels auxquels il sera confronté ? Les allées et venues d’éducateurs multiples traversant l’espace scolaire ne signent-elles pas la disqualification d’une école devenue sans matière ?
Un schéma horaire variable
A l’échelle du temps, cette vacuité prend la forme de l’imprévisibilité et de l’asymétrie. Tout d’abord, les grilles horaires accompagnant les textes officiels dégagent la possibilité d’une semestrialisation des emplois du temps. Ceux-ci, déjà gênés par une répartition d’horaires souvent établie en fonction de semaines paires et impaires, seront compliqués par le passage, en cours d’année, d’un semestre à l’autre. Plus grave encore, l’introduction de la deuxième langue et son accommodement avec les autres langues autorisent la circulaire à faire la promotion, pour cet enseignement, d’un volume horaire nouveau. Pour faire face à la difficulté de la diversité linguistique, le texte propose de privilégier « l’organisation de séances de cours de trois quarts d’heures ». Réduit à quarante-cinq minutes, l’enseignement des langues fait entrer l’élève dans une temporalité inédite, qui rompt avec celle vécue dans le reste de la semaine. On imagine mal dès lors comment cette option puisse s’accorder avec le rythme habituel des cours : une fois le temps écoulé, que feront les élèves en attendant le début de l’heure à venir ? Iront-ils en bibliothèque entendre leur documentaliste exposer quelques rudiments de culture ancienne ? Ou profiteront-ils de ce laps de temps pour écouteur l’animateur d’une MJC voisine les initier aux inédites beautés d’une langue régionale ?
L’impossible unité
Bien sûr, objectera-t-on, il incombe au personnel enseignant de faire face à cette diversité en usant de concertation et d’invention. Ainsi, les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires induisent, par leur statut même, la nécessité d’un travail d’équipe. Le problème est que, comme le souligne fort justement le corps syndical, la circulaire ne dégage pour ce faire aucune plage horaire dédiée, pas plus qu’elle n’en assure, à la différence d’autres pays qui sont rompus à ce genre de pratiques, la moindre rétribution. A ce titre, les « Nouveaux statuts relatifs aux obligations de service des personnels enseignants » peuvent tenir lieu d’avertissement. En ceux-ci en effet il est affirmé que « les enseignants sont tenus d’assurer sur l’ensemble de l’année scolaire » « le travail au sein d’équipes pédagogiques constituées » de personnels « ayant en charge les mêmes classes ». Enjoints d’harmoniser leurs pratiques sans en avoir les moyens, les enseignants, devenus gentils organisateurs d’activités périphériques, sont appelés à suppléer les carences d’un système indigent. En cette précarité, il est aisé d’imaginer que la concertation demandée sera sacrifiée, au détriment des élèves eux-mêmes. Et le professeur, secrétaire non rémunéré de son propre enseignement, tout entier tourné vers des tâches organisationnelles, se consacrera d’autant moins à l’exigence intellectuelle de sa fonction.
C’est donc un univers radicalement nouveau que prépare la réforme du collège. Déréglementé, concurrentiel et disparate, ce lieu ne sera plus, comme son étymologie le suggère pourtant, un pôle de collecte et de rassemblement. Promu au nom de la défense du socle commun, le projet annonce paradoxalement l’éclatement de la communauté scolaire ainsi que l’avènement d’un élève perpétuellement distrait. En cette révolution, l’indivisibilité de la République se risque à la juxtaposition des individus. Et l’école, qui préfigure, dit-on souvent, le monde de demain, prépare et construit une ère, qui pourrait bien être celle de la société du caprice.