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La réforme du collège en sa genèse : l’école offerte à la loi du marché

mardi 13 octobre 2015, par oleg

Contrairement à ce qui est parfois dit, la réforme du collège n’est pas le fait d’un parti, pas plus qu’elle ne serait le fruit d’une intention personnelle. Pour qui suit l’évolution de l’Education nationale en sa globalité, il est manifeste que les propositions de Madame Vallaud-Belkacem sont la traduction d’un mouvement de fond, qui précède le Ministère de cette dernière. A dire vrai, le décret promulgué en mai 2015 ne fait qu’entériner la somme de propositions faites dans un rapport demandé en 2006 par le gouvernement d’alors. Intitulé « Rapport sur la grille horaire des enseignements au collège. Mission d’audit de modernisation », le texte pose les jalons d’une conception inédite de l’éducation, dont la réforme du collège se fait la fidèle transcription.

L’école soumise à l’évaluation d’un tiers
Premier point qui frappe à la lecture de ce document, le texte, qui se propose de sonder le système éducatif français, est rédigé par des tiers qui sont pour la plupart extérieurs à ce dernier. La page de garde du rapport précise en effet que celui-ci fut conçu par deux membres de l’ « Inspection générale des finances », un membre de l’ « Inspection générale de l’administration de l’Education nationale » et un membre enfin de l’ « Inspection générale de l’Education nationale ». Sur quatre rédacteurs, un seul fut donc professeur. Revendiquant cette extériorité, le texte affirme qu’il entend pratiquer, dans le sein de l’école, la « mise en place d’évaluation externe », afin d’introduire des « pratiques nouvelles qui s’inspirent d’un autre modèle d’organisation, celui de l’Etat évaluateur ». Plus significatif encore, les auteurs de l’enquête, pour mener leurs investigations, se sont tournés vers des personnels non enseignants, hauts fonctionnaires et cadres de l’Education nationale. Pyramidale et sélective en ses cibles, la recherche entamée envisage donc en l’école une structure administrative, qu’il s’agit d’évaluer en ses dispositifs comme en ses coûts. Réduit à la question du fonctionnement et de la dépense, le rapport, excluant toute réflexion portée sur la valeur et les fins éducatives, consacre le règne des hussards gris.

Le savoir transmis devenu réalité quantifiable et chiffrable
Témoin de cette partialité, le texte obéit à la logique du chiffre et de l’efficience. Hantés par la question du « coût moyen du collégien », les rédacteurs cherchent à « repérer les leviers sur lesquels agir pour alléger l’horaire hebdomadaire obligatoire de formation ». De là, ayant défini quelques « indicateurs d’efficience », ils affirment que l’enseignement au collège serait vecteur d’ « une performance qui reste à démontrer ». C’est une logique entrepreneuriale qui est à l’œuvre ici, le monde de l’école étant considéré comme machine à produire un savoir qui serait facteur de frais. Soumise à une inspection comptable, l’intelligence du collégien, dont le moindre enseignant sait à quel point celle-ci peut être féconde en son imprévisibilité, est prise en une lecture chiffrée qui réduit son fonctionnement à un processus normé. Véritables ingénieurs du cerveau, les rédacteurs du rapport remplacent l’impératif de la formation par les simples lois de la production.

La seule solution c’est la déréglementation

Conséquence de ce changement, le document esquisse des solutions qui se limitent à de radicales transformations de structure. Les propositions, affirme le texte en une phrase prophétique, « devraient être de l’ordre de 80 % des moyens horaires disponibles, de façon à libérer 20% des moyens à la mise en œuvre des objectifs de progrès ». Mieux encore, il est dit que, « dans ce nouveau cadre horaire il ne sera plus possible de rendre juridiquement opposable le concept hebdomadaire dû aux élèves ». Pour résoudre la crise qui traverse l’enseignement des années 2000, notre « Rapport sur la grille horaire des enseignements au collège » propose l’évidente solution qui suit : diminuer l’enseignement général, faire inscrire cette réduction dans un cadre légal afin de rendre obligatoire la baisse imposée. La chose serait presque piquante s’il ne s’agissait ici d’un Etat préparant son avenir par la formation de ses enfants. Obéissant à la logique du moindre coût, ce dernier ne se présente plus comme service public faisant œuvre de salut public, mais bien comme prestataire de formations obéissant à l’obligation du rendement. En cette révolution, c’est la nation qui déroge à ses fonctions régaliennes, exposant de son propre aveu les élèves à l’aléatoire dérégulation qui caractérise la loi du marché.

Cette enquête, datant de dix ans et qui n’a pas été revue depuis, est donc à la source de notre réforme du collège. Exclusivement financières en leurs objectifs, les propositions qui y sont faites sont tout simplement inappropriées à la réalité scolaire : un savoir péniblement acquis n’est pas un produit que l’on fabrique dans le but d’être facturé. Et les économies, en matière d’enseignement, finissent toujours par coûter cher. Les événements douloureux qui secouèrent notre pays en janvier 2015 ont suffisamment montré l’urgence d’une sérieuse formation des consciences. Pourtant, le collège que nous promettait ce rapport et que consacre cette réforme annonce l’avènement d’un citoyen rentable et fonctionnel. Utilitariste autant qu’étroit, ce projet décevra alors les collégiens eux-mêmes, qui espèrent bien autre chose que de vivre dans un monde de techniciens gouverné par des experts.

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