Accueil > Documentation > Réforme du collège : l’Académie française plaide pour une "vraie égalité des (...)

Réforme du collège : l’Académie française plaide pour une "vraie égalité des chances"

jeudi 25 juin 2015, par oleg

Le 11 juin 2015, l’Académie française a adopté à l’unanimité le texte qui suit. Court et circonstancié, ce dernier est une critique sans appel de la réforme du collège :
(lire également l’interview de Marc Fumaroli, académicien et professeur honoraire au Collège de France)

"L’Académie française, qui a fait part au Président de la République de ses réserves sur les projets de réforme du collège et des programmes d’enseignement présentés par le gouvernement, considère que l’ensemble de ces projets n’est pas satisfaisant.

1. La réforme d’ensemble concerne à la fois la réforme des programmes d’enseignement de la fin du primaire et du collège, qui sont encore en consultation, et la réforme du collège qui a fait l’objet d’un décret et d’un arrêté sans que les programmes enseignés soient définis. Il y a là un défaut de structure qui interdit la compréhension et dissimule la logique même des réformes proposées.

2. L’Académie déplore que l’ensemble de la réforme repose sur deux principes implicites : l’affaiblissement des disciplines fondamentales et le bouleversement du calendrier d’acquisition « des connaissances et des compétences », c’est-à-dire leur remplacement au profit de thématiques interdisciplinaires.

Les projets posent en fait le principe d’un effacement des disciplines traditionnelles au profit de « thématiques interdisciplinaires », dont l’objet est le plus souvent ponctuel, dicté par l’actualité ou directement appelé par l’environnement immédiat des élèves.

La confrontation des disciplines, couramment pratiquée depuis des décennies, s’avère assurément féconde. Mais les « enseignements pratiques interdisciplinaires » (E.P.I.) ne se développeront nécessairement qu’au détriment des disciplines qu’ils prétendent fédérer, seules à même de transmettre les savoirs fondamentaux qui manquent à tant de collégiens.

Comment les élèves pourraient-ils construire par eux-mêmes un savoir à partir des approches « transversales et plurielles », caractéristiques de ce type d’enseignement, s’ils ne disposent pas de la formation élémentaire, reposant sur des bases solides dans les disciplines fondamentales, qui fait aujourd’hui défaut à un trop grand nombre d’entre eux au sortir de l’enseignement primaire ?

À trop privilégier la « transversalité », on risque de favoriser une dispersion des savoirs, une fragmentation des contenus préjudiciable aux élèves en difficulté, et de retarder la consolidation des acquis de base, qui ne peut être obtenue que par la transmission de savoirs objectifs et mesurables.

Pour les mêmes raisons, l’Académie s’inquiète du remplacement des programmes établis par année et par discipline par des « cycles » de trois ans mêlant toutes les matières et les associant autour de projets pratiques et de « thématiques transverses ». Le bouleversement complet du calendrier, pourtant nécessaire, d’apprentissage des connaissances au profit de « parcours » propres à chaque élève, dans le cadre d’« itinéraires pédagogiques » élaborés au sein de chaque établissement, ne permettra pas de lutter efficacement contre l’échec scolaire, ne favorisera pas « la réussite pour tous », que la réforme s’assigne pour objectif, et a toute chance de perpétuer voire de développer les inégalités.

3. L’Académie insiste sur sa vive préoccupation concernant la place faite à la langue française dans les projets de réforme en cours. Elle considère qu’aucun redressement de notre système éducatif ne pourra être opéré si l’accent n’est pas mis sur l’apprentissage du français, dont la maîtrise et la compréhension sont la condition d’accès aux autres disciplines. Les difficultés rencontrées par un trop grand nombre d’élèves dès l’entrée au collège proviennent des lacunes constatées dans l’acquisition du socle des connaissances dispensées dans l’enseignement primaire : elles tiennent en particulier à une maîtrise insuffisante de la lecture et de l’expression écrite et orale.

L’Académie française rappelle que le patrimoine littéraire constitue un élément essentiel de l’enseignement de la langue française et qu’il doit, à ce titre, donner lieu à un programme précis pour chacun des cycles scolaires. Elle regrette vivement la disparition quasi complète, dans le document – par ailleurs incompréhensible dans sa formulation – concernant la classe de 6e, de toute référence à des textes, des œuvres ou des courants littéraires, tandis que pour les autres classes du collège, seuls quelques genres sont mentionnés.

Réduire la place des humanités, matrice de notre civilisation, mettre le latin et le grec sur un pied d’égalité avec les langues régionales, dont l’enseignement relève d’une tout autre problématique et renvoie à d’autres finalités, est aussi un mauvais coup porté à la langue française. Apprendre le latin et le grec n’est pas consacrer à des langues « mortes » un temps qui serait mieux employé en étudiant une ou plusieurs langues « vivantes », c’est avant tout découvrir notre propre langue, dont la maîtrise ouvre l’accès à toutes les disciplines et à la culture en général.

L’Académie française, au terme de la réflexion qu’elle a menée sur les enjeux et les modalités de cette réforme, et après avoir examiné les dispositions contenues dans les textes adoptés par le Conseil supérieur des programmes, appelle d’abord à préserver les disciplines traditionnelles sans lesquelles les lacunes dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux, trop souvent constatées au sortir de l’école primaire, ne pourront être comblées au collège.

Elle appelle ensuite à rendre à la maîtrise de la langue française la première place, et à favoriser cet apprentissage par un véritable enseignement des langues anciennes aussi largement que possible.

L’Académie a la certitude que le redressement du système scolaire, si impatiemment attendu par la Nation tout entière, devra, d’une part, s’inscrire dans la continuité de notre culture, faite d’enrichissements successifs et respectueuse de ses origines, et d’autre part, résister à la tentation de la facilité, qui n’a jamais eu d’autre résultat que l’aggravation des inégalités. L’exigence constitue le principe fondateur de l’école de la République ; elle doit le rester ou le redevenir.

Pour toutes ces raisons, l’Académie française estime nécessaire de reconsidérer les principes et les dispositions des réformes proposées."

3 Messages

  • sur le premier point, je rejoins l’Académie française. La réforme n’offre aucune garantie de résultat. Pire, on a encore l’impression d’une baisse du niveau scolaire qui ne saurait être acceptée en l’état actuel du système. Ce serait commettre une rupture d’égalité avec les enfants et jeunes des autres pays au regard de l’instruction et l’éducation et brader le capital d’innovation de la France.

    Sur le second, je dirai que si les bases du français étaient convenablement posées avant l’arrivée en 6e comme c’était le cas jusque dans les années 50/60, alors on pourrait consacrer aux enseignements transversaux le temps qui est dévolu à partir de la 6e. Cela voudrait dire de recentrer les enseignements sur les mathématiques et la langue maternelle comme c’est le cas en Allemagne par exemple dans les petites classes en particulier dans les milieux défavorisés, en s’appuyant notamment sur le capital culturel des médiathèques pour la lecture et d’ouvrir un panel d’activités ludiques en rapport avec la logique et les mathématiques, en particulier sur les territoires à forts besoins (ZEP, REP) afin que l’égalité des chances soit une réalité. Il s’agit de donner dès le départ les mêmes chances à tous indépendamment du budget des parents qui conditionne l’accession à la propriété qui conditionne elle meme le lieu de résidence et par conséquent l’établissement de référence. Ces inégalités dénoncées par le PISA sont inadmissibles au regard de l’article 1 DDHC de 1789, constitutionnelle. Les budgets de la culture doivent être augmentés et en parallèle, les budgets des postes administratifs de l’Education Nationale abaissés au profit des recrutements et augmentations de budget pour les projets innovants des enseignants, créateurs de valeur ajoutée capitalisable et essaimable.

    Dès la 6e, les projets d’enseignements transversaux apportent un plus en ce qu’ils permettent d’augmenter les enseignements de français en mettant l’accent sur le français dans l’ensemble des projets quelle que soit la matière phare des projets. Il convient de mettre l’accent sur les apprentissages fondamentaux via tous les sujets traités et de renforcer les acquis de ceux qui n’auraient pas le niveau en dégageant des heures de travail destinées au rattrapage. Par ailleurs, il convient de renforcer la capacité des enseignants à travailler à partir de la méthode Freinet qui est une méthode centrée sur les projets et sur les élèves.

    Par exemple, rien n’empêche d’étudier dans un projet le théatre à travers une pièce de théatre et l’époque où elle a été écrite, en partant d’une approche Freinet.

    Or, les enseignements transversaux correspondent aux réalités de l’entreprise aussi bien que de l’université, puisqu’on part maintenant d’un projet avec un sujet donné que l’on aborde à partir de la posture que nécessite un métier donné. On pourrait donc gager que cela pourrait servir pour positionner les élèves suivant leurs points forts ou les faire travailler sur une matière où ils rencontrent des difficultés pour les faire progresser autrement.
    Ce sont des modalités d’enseignement dont on a l’habitude dans l’instruction en famille, des modalités pratiques que nous saurions très bien transférer aux enseignants si des partenariats sont engagés. Cependant, les enseignants sont-ils ouverts au transfert de connaissances et compétences des familles ? La question se pose. Nous ne voulons pas passer pour des donneurs de leçon, mais les besoins en formation sont réels et les familles qui pratiquent Freinet sont prêtes à donner main forte sous la forme de la réserve citoyenne par exemple, d’autres en étant payées par le Ministère ou si des assouplissements des controles pédagogiques nous concernant étaient accordés en reconnaissance du transfert de compétences vers les établissements. Des modalités d’échanges sur le savoir-faire sont-elles envisageables et surtout sont-elles accept"ables" "ées" par les enseignants ?

    Enfin, pour ce qui est de l’acquisition des langues régionales. Force est de constater un regain d’intérêt pour celles-ci au profit d’une culture de terroir. Que cela se fasse au détriment du latin et du grec, je ne le pense pas. Cependant, force est de constater que l’enseignement du latin et du grec souffrent d’un vieillessement et d’une décrépitude de la forme d’enseignement, notamment si l’on compare aux méthodes belges d’enseignement du latin et du grec. Ne serait-il pas possible, notamment du fait qu’en Wallonie le français est parlé de pratiquer des échanges avec la Belgique pour transférer ce savoir faire plus ludique (mais plus performant) et les outils batis autour des ntic notamment.

    Cordialement

    Répondre à ce message

    • Je ne suis pas certain d’avoir totalement compris votre propos.
      Sauf mécompréhension totale de ma part vous possédez une expérience en enseignement à la maison (IEF). C’est une excellente alternative à une école ou collège local déficient ; mais je suis dubitatif sur le bénéfice d’un transfert depuis un groupe restreint et cohérent vers une classe nombreuse et disparate.

      L’école des années 50/60 que vous évoquez avec pertinence présentait une approche méthodique de l’enseignement du français comme du calcul et raisonnement ; c’est la raison de son succès pour une majorité d’élèves presque indépendamment du milieu familial. Cette approche épousait aussi, sans le savoir, la réalité du développement du cerveau entre 5-6 et 10-11 ans, mis en évidence fin XXème par l’IRM fonctionnelle.

      De même le collège de ces années ouvrait sur une approche structurée des bases de la culture, de l’expression écrite et des outils scientifiques. On mesure aujourd’hui le fossé que doivent franchir nos pauvres enfants lorsqu’arrivant au bac, on les découvre en difficulté devant une pièce de Molière ou la signification de certains mots ou expressions comme ’ad hoc’ - vous avez certainement une multitude d’exemples en tête.

      De ce fait l’évocation de ’Freinet’ me laisse très réservé : c’est l’une des idoles, avec l’incontournable Bourdieu, dont se réclament les militants de cette "nouvelle" école dont on cueille les méchants fruits aujourd’hui. Ou alors ai-je mal compris votre intention sur ce point ?

      Enfin je resterais très prudent sur une forme de partenariat entre familles et école : l’administration a déjà beaucoup trop tendance à empiéter sur les responsabilités réservées aux parents. Ce que vous imaginez comme un apport d’expérience se retournerait immanquablement dans une direction que vous ne désirez absolument pas - que vous n’imaginez peut-être même pas aujourd’hui ; vous souvenez-vous des déclarations de l’ingénue à la tête du ministère concerné qui se définissait unilatéralement comme "ministre des parents" ?

      Répondre à ce message

      • Cette méconnaissance perdure bien au-delà du baccalauréat.
        Il y a quelques années, pour le concours de recrutement de professeurs des écoles (les candidats avoir être titulaires d’une licence, donc avoir un niveau au moins bac + 3), il était question de "distance à vol d’oiseau" par rapport à un point de départ, et on demandait l’interprétation de "la distance à vol d’oiseau est nulle". Les correcteurs ont eu la surprise de trouver dans une copie cette réponse : l’oiseau s’est arrêté de voler.

        Répondre à ce message

Répondre à cet article

| Plan du site | Notice légale | Suivre la vie du site RSS 2.0