L’entretien qui suit est paru dans le mensuel Causeur. En voici quelques extraits :
Le mathématicien Laurent Lafforgue estime que les principaux responsables de la dérive actuelle sont les « experts » qui exerceraient leur mainmise sur la rue de Grenelle. On cite souvent Florence Robine, présentée comme la véritable ministre de I’Education nationale. Vous avez été recteur d’académie, partagez-vous cette opinion ?
J’ai des raisons de connaître les hauts faits de Mme Florence Robine, directrice générale de l’enseignement scolaire, dont j’ai dénoncé l’arrogance dogmatique et le mépris des professeurs dans un billet intitulé « Le caporalisme épinglé ». Il est certain que,bien que très minoritaire, une véritable camarilla de bien-pensance pédagogique a fait son nid au cœur de la rue de Grenelle et qu’elle a profité du conformisme pavlovien ou de l’aveuglement opportuniste de certains corps intermédiaires pour répandre son idéologie toxique. Ces experts, dont le parcours antérieur n’est pas toujours marqué du sceau de l’excellence universitaire, ont réussi à survivre à tous les changements de ministres, les hôtes de l’hôtel de Rochechouart n’ayant pas tous eu la volonté d’imprimer leur propre vision pédagogique (à supposer qu’ils en eussent) ni de se faire obéir de leur administration. L’action de cette véritable cléricature (qui a ses rites, sa vulgate, et adore fulminer les excommunications au nom de sa propre vision tolérante) rappelle souvent le comportement d’une secte.
Ne sont-ils pas plus ridicules que vraiment nocifs ?
Ne croyez pas cela ! Tout en chantant la louange de l’autonomie des acteurs de terrain, ces « experts » sont devenus de redoutables praticiens de la déculturation forcée et de l’autoritarisme. Les témoignages qui remontent des séances de formation imposées aux enseignants en vue de la mise en oeuvre du nouveau collège à compter de la rentrée 2016 sont à cet égard hallucinants. Intimidation, délation, humiliation y ont été pratiquées avec une alacrité qu’on n’aurait pas cru trouver chez les commis voyageurs d’une idéologie aimant à se faire passer pour libertaire. Et que dire de ces « chercheurs » en sciences de l’éducation, aussi doctes dans leur comportement que, pour certains d’entre eux, intellectuellement médiocres,qui entendent imposer à une profession tout entière une scolastique de bas étage qui tire sans doute sa légitimité du fait que ses thuriféraires ne sont pas soumis au contact polluant des élèves ni des salles de classe ? Que d’économies ne pourrait-on pas réaliser si l’on renvoyait ces beaux esprits sur le terrain, en établissement !
De nombreux collectifs luttent contre la mise en place de la réforme du collège,les enseignants sont très actifs sur les réseaux sociaux, des professeurs refusent de se rendre aux journées de formation,des manifestations ont lieu dans certaines académies, les mobilisations se succèdent en Seine-Saint-Denis. Comment voyez-vous évoluer la situation ?
La mise en place de la fumeuse et délétère réforme du collège, contre la volonté nourrie de sagesse et de vraie expérience des enseignants, a réussi à transformer leur souffrance en exaspération. Pour toute réponse à la contestation, la DGESCO mise en effet sur l’« éducabilité » (sic) des professeurs, en laquelle elle ne semble guère croire d’ailleurs. Il faudrait donc rééduquer les enseignants, comme s’ils étaient des délinquants. L’indifférence que Mme Vallaud-Belkacem leur témoigne depuis de longs mois a créé une situation que je crois explosive. Cette ministre,toujours empressée de se montrer aux caméras, n’a pas trouvé un instant pour exprimer sa compassion ou, à tout le moins, la conscience qu’elle a de leurs difficultés. Regardez-la pouffer à l’Assemblée nationale quand un député de l’est de la France ose l’interroger sur la marginalisation de l’enseignement de l’allemand. Les professeurs pensaient avoir une ministre : ils constatent qu’ils ont une communicante exclusivement soucieuse de sa propre image et de sa carrière à venir.
1 Message